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9 mai 2013

Ni no Kuni — Le treizième conte ?

Ni no Kuni — Le treizième conte ?

     Ni no Kuni aurait du mériter une branlette littéraire. Un texte écrit à la manière d'un récit. À l'image des contes merveilleux narrés dans l'ouvrage numérisé. Quelque chose qui ressemblerait à un exercice de style prétentieux avec pas mal de maladresses qui dissimulerait un hommage sincère avec un peu de sens. Celui de l'aventure que l'on a partagée. Des épreuves que l'on a traversées. De l'univers que l'on a sauvé. Parce que l'histoire que l'on a vécue fait partie de l'Histoire de Ni no Kuni. Elle a un impact sur le background. Sur le futur. Sur les futurs. Ceux qui existent au-delà même du jeu. Celui d'Oliver, qui a appris à faire le deuil de sa mère. Celui du joueur, qui apprend à faire le deuil de son jeu. Et celui des prochains magiciens, qui apprendront la chronologie de leur monde en lisant les pages de leur grimoire. Mais pour cela, les pages doivent être écrites. L'histoire doit être relatée. Transmise. Racontée. Et c'est là tout le problème.

     Car Ni no Kuni n'est pas un conte merveilleux. Ni un dessin animé interactif. Ce n'est même pas un bon jeu. C'est un paradoxe. Un titre qui n'arrive pas à mettre d'accord les joueurs parce qu'il n'arrive pas à se mettre d'accord lui-même. Prônant un discours qu'il n'est pas capable de suivre. Allouant au joueur un statut qu'il ne lui permet pas d'assumer. L'abreuvant de sorts qu'il ne pourra jamais utiliser. Lui promettant la liberté sans lui donner la possibilité de jouer à sa façon. Le background instaure mais le gameplay n'applique pas. Le capitaine ordonne mais les alliés n'agissent pas. Constamment tiraillé entre le fantasme Ghibli et la réalité Level-5, le joueur se retrouve frustré. Prisonnier de la croix qu'il faut porter quand l'on touche à la magie : des pouvoirs cosmiques phénoménaux dans un vrai mouchoir de poche. Ou l'amertume de constater qu'en fin de compte, si la branlette littéraire a si peu de sens, c'est avant tout parce qu'en fin de conte, Ni no Kuni en est lui-même cruellement dépourvu.

     Dépourvu de sens mais pas de vérité, le titre est riche en enseignements. Tenant davantage de la fable artisanale que du conte vidéoludique, il est à la fois la leçon et la punition. Celle d'un studio de développement qui a cru pouvoir bâtir un RPG sur les « simples » bases d'un univers enchanteur et d'une direction artistique rêvée, oubliant l'importance fondamentale des mécanismes ludiques. En résulte un jeu d'esbroufe, aux jolis décors mais au level design grotesque, au système de combat insignifiant, à l'IA aberrante et au contenu profondément creux — ou quand le plaisir insoupçonné de dénicher un endroit perdu au milieu de la carte se voit immédiatement plomber par la vacuité du lieu et l'inintérêt de ses habitants. L'appel de la découverte, la réponse du vide. Le récit Level-5, la morale Ni no Kuni.

     Mais les morales se méritent. Pour en comprendre l'essence, il faut aller au bout du récit. Et pour comprendre le gâchis, il faut aller au bout du jeu. Prendre connaissance de tous les tenants et aboutissants pour constater l'étendue des dégâts. Prendre conscience que l'on contemple un champ de ruines. Car, et c'est là toute la tragédie de la chose, Ni no Kuni aurait pu être une belle histoire. Il le devient d'ailleurs à un moment donné. Un moment juste et touchant avant le ravage. Avant d'apprendre qu'après avoir affronté le Mal et fait triompher le Bien, il faut désormais combattre le Mieux. Les heures en plus. Le segment scénaristique rajouté. Le donjon insensé. La narration précipitée. La fin bâclée. À trop vouloir prolonger l'expérience, Level-5 a flingué son jeu. Son récit. Sa morale.

     Un jour, l'héroïne d'un authentique conte (coucou) a dit que les légendes étaient des leçons, qu'en elles résonnait la vérité. Un écrit — ou un oral — à la manière d'un passage de témoin. À l'image des anciens mythes consignés dans les ouvrages sacrés. Quelque chose qui ressemble à une histoire modeste avec un peu de naïveté qui dissimule un principe universel avec beaucoup de sens. Celui du macro que l'on partage. Du micro que l'on traverse. C'est la transmission du monde par son évocation. Trouvant sa matérialisation dans son échange. Sa vérité dans sa façon d'être narré. Relaté. Et c'est là toute la postérité que trouvera Ni no Kuni. Car à défaut de devenir un véritable conte, il se racontera au moins comme tel. À l'imparfait.

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