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26 mai 2017

Persona 5 — La confession des enfants du siècle

Persona 5 — La confession des enfants du siècle

     Douze mois durant, Persona 5 se déploie dans l'imposante cohérence de son ampleur comme l'anti-Final Fantasy XV. De là à parler d'un gouffre entre Atlus qui ne laisse rien au hasard et Square qui laisse tout à l'abandon, il n'y aurait en effet qu'un pas — à se garder néanmoins de franchir. Machine admirable, oui ; machinerie absolue, non. Subsistent des errements de jeu et des erreurs de jouer ; une, notamment, a priori mineure, a posteriori aberrante, passant presque pour du sabotage, tant ludique que philosophique. Trou dans la coque, et trou dans le drapeau. À l'intérieur de ce game-design sommeille un game-killer. Épouvantail évitable, car endormi, mais traître terrible, car têtu. Susceptible de plomber à lui seul tout le verso roleplay d'un recto visual, et, ce faisant, d'éclater à coups de maillet les fondations de ce gratte-ciel érigé pendant huit ans et parcouru depuis cent heures à la gloire du — superbe — leitmotiv qui lui a justement permis de voir le jour — et qui nous permettra justement d'en voir la nuit — : « Take Your Time ».

     Ce temps, qu'il distend, prenons-en pourtant. Pour dire ceci à l'envi et répéter cela à autrui : Persona 5 est gigantesque. Par ce qu'il délivre, et parce qu'il délivre, il mérite d'être vendu — et vaincu. On lui pardonnera alors de ne pas être le titre d'une année — coucou The Last Guardian, coucou NieR : Automata — pour mieux le saluer comme celui d'une génération. De gens davantage que de jeux. Car s'il demeurera, à n'en pas douter, l'une des sorties majeures de l'ère Playstation 4, Persona 5 restera surtout parmi les grandes œuvres pop japonaises des années 2010. Ces post-2011 traumatisées et traumatisantes que les développeurs, en observateurs ambidextres, s'évertuent à décrire de la main droite pour, immédiatement, s'efforcer de décrier de la main gauche. Voix haute sanctionnant coup bas. Tromperie traquée. Carnet de confessions, le jeu, intelligemment écrit, brillamment récité, est l'immense déposition d'un studio spectateur du meurtre de son époque. Un témoignage qui se refuse testament, et un refus qui se veut révolte. Prévenant, car prévenu, Persona 5 prévient. Qui ? Le peuple. Comment ? En hurlant détresse, en haranguant jeunesse.

     Esprit qui flamboie sauvera cité qui s'embrase. Ainsi l'appel d'Atlus ; flopée de flambeurs fomentant, dans les profondeurs tokyoïtes bariolées et belliqueuses, un complot farfelu. Ils y répètent ici-bas des guet-apens bienveillants et y élaborent des attentats contraires, sortes de bombes H à l'envers, aspirant au coup d'éclat. Révolution de cotillon. Tentative de putsch absurde menée par des insurgés sublimes qui espèrent résonance plus qu'ils n'attendent réponse. Ces renégats-là recherchent le ricochet. À tant de pavés reçus, voilà leur galet lâché. Pierre débrutie pouvant désabrutir. Qui manque certes d'élan — localisation anglaise unique — mais certainement pas d'écho ; presse dithyrambique, interweb conquis. Si bien que, depuis son lancement, sans doute a-t-elle déjà traversé, sinon le monde entier, du moins un pays en particulier : celui des yeux ouverts et de l'oreille tendue.

     Peu, alors, se targueront de l'avoir attrapée ; en revanche, beaucoup se vanteront de l'avoir entenvue. Faute de frappe volontaire car perte de repère voulue. Parade Paprikesque de cent cinquante heures à travers le folklore urbain, le jeu se déroule — se dévoile — comme une fresque vivante tendant à la conjonction des sens. Forme du flow, gouache du groove, Persona 5 esthétise avec panache une musicalité moderne et entraînante. Réussite, encore — et rébellion, toujours, de la part d'artistes accomplis qui, en adolescents éclos, explorent dans l'exubérance un moyen d'expression : thermomètre cathartique du discours, l'outrance stylistique saupoudre du signifiant au sensoriel. À l'attention d'une société incitée à se déchaîner, mais également d'un support invité à se désinhiber. Carcan clinquant qu'on éclate. Rayonnement du risque, récompense d'une confiance, l’œuvre d'Atlus, repensée de zéro à la suite de Fukushima, ressurgit aujourd'hui comme le persona de son propre medium ; un produit — viscéralement — culturel de contre consommation contemporaine qui requiert de l'attente et réquisitionne de l'attention. Souvent frustrant dans sa demande, Persona 5 ne l'est que trop rarement dans sa démarche. Si l'abondance de texte éreinte, la richesse du titre encourage. Épuisement épongé par l'enthousiasme ; nourri au fait, non pas d'incarner encore un joueur libre, mais d'interagir enfin avec un jeu libéré. Alors bas les masques ? Oui, mais haut les cœurs.

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